PATRICK LELEUX 08/08/2007



- Pourquoi ce titre que je pourrais traduire par "Consentement préjudiciable" ?
Oui, et plus exactement "porter atteinte au consentement". C'est une référence directe au livre de Noam Chomsky & Edward S. Herman "Manufacturing Consent" ("La Fabrique de l'opinion publique") qui décrit comment se fabrique le consensus autour des valeurs et des choix des élites économiques et politiques, comment elles obtiennent l'assentiment des classes sociales inférieures dans leur entreprise de domination, d'exploitation et de contrôle. C'est aussi un jeu de mot avec "Damaging Content" qui est en anglais une autre façon de parler des virus et autres vers informatiques. Ce titre est un appel au combat contre ce consentement.

- CITIZEN RECORDS indique que cet album est ton premier ; il y a débat car que dire alors de BLEEP TO BLEEP ?
Contractuellement "Bleep To Bleep" était un mini-album. Avant j'avais sorti l'album d'Impulsion "Love Addict" en 1998 sur Small/Sony. Après il y a eu une compilation conçue comme un album, Rocker's Delight "The Rock Sound Of Darkest Paris" en 2002 sur Quatermass/Sub Rosa, et le CD japonais "I Wanna Be Your Toy EP" en 2005, qui dure plus de 75 minutes. Je ne dois pas être fait pour suivre les règles de l'industrie...

- Pourquoi y avoir inclus des Interludes (dans l'un d'eux n'est-ce pas ta fille qui parle ?) ?
Oui c'est bien elle. Je ne voulais pas faire une simple compilation de maxi. Mon son échantillonne le présent, l'organise et le met en scène pour en faire émerger une émotion et un sens, grâce à un nouvel éclairage. D'où ces interludes qui trouvent leur matière sonore dans mon quotidien, internet, le téléphone, des films que j'ai vu, des disques que j'ai écoutés, mes amis, ma fille, etc. Cet album raconte notre aliénation contemporaine et présente quelques échappatoires, sans grands discours, avec juste quelques citations.

- LE CD BONUS avec les REMIXES c'est ton idée ?
Non c'est l'idée de Citizen Records. Idéalement j'aurais préféré que les deux CDs soient vendus séparément, et qu'on réussisse à obtenir mon remix de "Hollywood" pour Madonna. Le principe de réalité s'est une fois de plus imposé.

- Va-t-il sortir en VINYL ?
Pour l'instant, un vinyl sort en août (CTZ020) avec "Reaction" et "Distracted" en face A, et le remix d'Underworld en face B. On verra ensuite. Je sortirai probablement des choses sur mon label, Micronautics.

- La pochette sera-t-elle ce GRAND M avec toi sur le côté ?
Oui.

- Combien de temps as-tu travaillé sur cet album ?
C'est le résultat de mes recherches sonores de ces 5 dernières années. La conception de l'album proprement dit a commencé en novembre 2006.

- 5 ans c'est une moyenne pour toi, il te faut du temps pour expérimenter tes idées et du nouveau matériel ?
Oui, ça et quelques autres choses... Des problèmes psychologiques à résoudre, avoir une vie sociale et familiale, faire le bilan de mes échecs passés pour ne pas reproduire les mêmes erreurs, développer mes compétences comme DJ, mettre en place mon site internet, monter mon label... Tout ça prend du temps, malheureusement ! Car inutile de te dire que vu ce que rapporte la musique de nos jours, ça n'est absolument plus rentable. Big up à la CAF !

- Si cela ne rapporte quasiment rien, qu'est-ce qui te fait continuer ?
Il n'y a pas que l'argent dans la vie. J'ai ressenti mon 1re choc esthétique en écoutant L'Oiseau de feu de Stravinsky à l'école maternelle. Puis la musique s'est imposée petit à petit comme une vocation.

- J'ai trouvé cet album résolument rock avec notamment sur DISTRACTED une intro qui ressemble à un morceau de GARY GLITTER, et sur SUPERSTAR la fin me fait penser à BEING BOILED de HUMAN LEAGUE circa 1980 ?
Il y a en effet quelques références au rock moderne et novateur fin 70 début 80, quand d'Iggy Pop à Heaven 17, il n'hésitait pas à utiliser la dernière technologie et à faire danser. J'aurai pu aussi citer New Order, Kraftwerk, DAF, Suicide, Métal Urbain, Kas Product, Wire, Bauhaus, Soft Cell, Tuxedo Moon, etc. J'ai l'impression que le nouveau rock en train d'émerger aujourd'hui revient à l'électronique et à la danse...

- Tu cites donc des groupes fin 70 début 80 ; n'y a t'il rien de nouveau qui t'excite, t'arrive-t-il parfois d'aller voir des groupes rock en concert ?
Les valeurs du rock ont été transmise à la techno. Le rock traditionnel relève aujourd'hui du spectacle. En même temps un nouveau rock apparaît, qui rejoint la modernité en adoptant les apports de la musique de danse et de l'électronique.

- Tes morceaux (à part un ou deux) ne sont pas "formatés radio" ; est-ce un choix ?
Je fais de la dance music, pas de la pop. Les morceaux sont des instrumentaux, plus longs et plus complexes. Mon territoire c'est la nuit, la transe, la communion païenne qu'est la fête. Cela dit j'ai fait des versions courtes, formatées radio ou vidéo, de certains morceaux. Je les considère comme des "pubs" ou des "teasers" des versions complètes qui sont sur l'album. Il faut garder un pied dans le système pour pouvoir le subvertir...

- On dirait que tu ne cherches pas le tube à tout prix comme GUETTA ou SINCLAR ?
À chacun sa vocation. Le matérialisme et la société du spectacle me rendent malheureux. C'est une des leçons que j'ai retenues de mes années 90.

- Qu'est-ce qui te rend donc heureux ?
Le sentiment de plénitude, difficile à atteindre et fugace...

- Ton disque sort sur un label basé à Dijon. C'est pour ta tranquillité musicale et un moyen de faire ce que tu veux quand tu le veux sans pression ?
Oui. C'est une équipe avec laquelle je me sens bien, suffisamment proches pour qu'ils m'aient sans arrêt sur le dos, suffisamment loin pour que Paris ne leur cache pas le reste du monde. Ils ont beaucoup d'atouts, un amour et une connaissance de la musique, une vision à long terme.

- As-tu essayé de voir avec des majors ?
Non et c'est lié à tout ce que je viens de dire.

- On parle de plus en plus de la mort du disque et toi tu continues quand même à sortir des morceaux sur vinyl ? Même pas mort ?
On ne gagne plus d'argent avec le vinyl, c'est devenu un outil pour la promo et un moyen d'être présent dans les quelques magasins qui comptent. On est dans une période de transition. Personnellement les seuls vinyls qui s'ajoutent encore à ma collection sont ceux qu'on me donne. Je préfère acheter des fichiers wav sur les sites spécialisés comme Beatport, Bleep ou TrackItDown. J'utilise un laptop pour le DJing depuis le tout début 2003. Et je tiens à préciser, ce ne sont pas des mp3s que je joue : que des aif ou des wav non compressés et sans perte.

- Heu excuse-moi mais pourrais-tu préciser quand tu parles de AIF et WAV ? Est un des morceaux que tu composes et compresses dans ces formats ?
Ce sont deux formats (Apple et Windows) de fichier audio-numérique non compressé, donc sans perte. Ils permettent une restitution sonore exactement identique à celle du musicien dans son studio, telle qu'il l'a voulue.

- Dans la musique électronique beaucoup d'artistes se servent de parties de morceaux pour créer les leurs...
Et beaucoup non. Je ne sais pas de quoi tu veux parler : du sampling, des remixes, des DJ mixes, des bootlegs, des mashups, de la bastard pop ou bien de la technologie, de la création, de l'histoire de l'art ?

- Je veux dire par là : comprendrais-tu qu'un artiste se serve d'une partie de ton travail pour en faire autre chose ?
Bien sûr.

- Il y a quelques années tu me disais vouloir remixer ou retravailler tes anciens morceaux. Cela veut-il dire qu'aucun morceau n'est parfait et que si aujourd'hui tu travaillais sur l'album qui vient de sortir il aurait un autre son?
Non j'ai été au bout. J'ai fait ce que je voulais et ces morceaux sont terminés.

- Que penses-tu du téléchargement en général ? Es-tu pour un téléchargement contrôlé ?
Les morceaux vraiment nouveaux et pointus, on ne les trouvent pas sur les réseaux peer to peer, il faut les acheter dans les magasins en ligne spécialisés. Et puis le son mp3 me donne mal aux oreilles. Je serais en faveur d'un système où chaque fichier informatique multimédia aurait un tag, un identifiant numérique, qui permettrait aux sociétés d'auteur de débiter de quelques centimes le compte de l'utilisateur et de créditer celui des ayant-droits. Mais comme ce genre de technologie est très intrusive et permettrait un flicage total des gens, il faut d'abord un grand toilettage de la démocratie en supprimant les nombreuses lois liberticides, en inscrivant dans la constitution la liberté de parole, d'expression, d'habillement, d'utilisation des psychotropes pour les majeurs, de pratique sexuelle pour les majeurs consentants, y compris la prostitution, etc. Ne nous trompons pas de combat, la technologie instaure la surveillance généralisée, il faut la rendre sans objet.

- Il y a en ce moment un buzz sur JUSTICE. La musique a eu son heure de gloire ; n'est­elle pas en train de s'essoufler ?

- Tu ne m'a pas répondu a cette question ; je voulais dire par là est-ce un bien pour ce duo que l'on veuille les faire passer pour les nouveaux DAFT PUNK ?
Ça risque d'être dur à porter.

- Comprends-tu les artistes avec un "passé électronique" qui enregistrent et jouent sur scène avec des instruments : Je pense Laurent Garnier, Cassius, Black Strobe ?
Je connais leur raisonnement mais je pense qu'ils ont tord.

- En quoi ont-ils tord dans leur raisonnement ? Tu n'es pas pour un mélange des genres ? Es-tu un "intégriste" de la musique électronique ?
Il suffit d'entendre mon album pour savoir que je suis absolument pour le mélange des genres. Mon éthique c'est : connaître le passé sans le copier, aller de l'avant, essayer d'apporter quelque chose de nouveau.

- La question qui tue. Quel est le morceau que tu aurais voulu composer ?
4'33 de silence par John Cage

- Sur les remix : Qui en fait choisit pour remixer un titre ? L'artiste ou toi ?
L'artiste.

- T'est-il arrivé de lutter pour un titre au point de tout arrêter ?
Dans quel sens "tout arrêter" ?

- Je veux dire dans le sens avoir des difficultés et donc arrêter le remix en cours.
Non. Je suis du style coriace, comme un pitbull.

- Qu'est-ce qui t'intéresse le plus dans cet exercice ?
L'argent, le buzz, l'occasion de jammer à distance avec des musiciens talentueux et inaccessibles autrement.

- Ah bon tu m'étonnes tout à l'heure tu me disais qu'il n'y avait pas que l'argent qui comptait et là...
Mon but dans la vie, c'est avant tout de faire ma propre musique, en toute liberté. Le remix c'est un travail de commande, pour quelqu'un d'autre, avec de sérieuses contraintes ; forcément ça m'intéresse moins. Je file mes idées et basta. Après si je veux mettre ces remixes sur un de mes disques, comme c'est le cas pour ce double CD qui sort sur Citizen, je suis obligé de payer ! Donc oui quand un artiste multi millionnaire me demande un remix, il raque c'est normal.
Et j'aimerais que ça arrive plus souvent ; car la survie au jour le jour fait perdre beaucoup de temps et d'énergie, au détriment des bonnes choses de la vie, dont la musique...

- As-tu quand même obtenu le droit d'inclure le Hollywood de Madonna ?
Non ; les négos étaient trop longues et trop compliquées.

- Ce qui veut dire que ceux qui ont reçu une advance copy du double CD avec le remix de Madonna ont entre leurs mains UN COLLECTOR ?
Yes.

- Il se dit que tu refuses régulièrement bon nombre de remixes ? Combien ? Qui ? Pourquoi ?
Manque de temps. Je préfère quand même travailler pour moi !

- Sur ton travail de DJ : Tu te rappelles avoir commencé dans des endroits pire que louche au début des raves parties dans les années 90 en France ?
À l'époque je ne mixais pas, j'y allais en tant que raver.

- Qu'est-ce qui a changé le plus ?
Il y a de moins en moins de liberté et de mélange.

- Tu as aussi commencé à mixer à 3 (Impulsion) puis à 2 au début de The Micronauts, depuis seul...
Impulsion c'était des concerts.

- Qu'était-il le plus dur à gérer ?
La fatigue et le manque de temps.

- L'atmosphère en club a-t-elle changé ?
Dans l'ensemble non. En France les gens se lâchent plus aujourd'hui qu'avant ; mais on n'est pas encore au niveau des autres pays. Ce qui manque, ce sont les raves.

- Tu mixes régulièrement dans des soirées gratuites ; tu crois que cela devrait toujours l'être ?
Non. À moins que tout ce que dépensent les gens qui travaillent dans la musique soit entièrement pris en charge par la société...

- Y a-t-il un pays qui t'ai scotché positivement lors d'une soirée et bien sûr son contraire ?
Ibiza pour la qualité des sonos et l'Angleterre pour l'enthousiasme et la culture musicale du public. J'ai vachement aimé aussi la Belgique, la Malaisie, Benicassim, le Pulp. Les mauvaises expériences, elles sont déjà oubliées.

- Un mot sur : Soirée Techno = Drogues et l'estival Teknival ?
Légalisation !

- Christophe quand je te demande un mot tu n'es pas obligé de le prendre au premier degré. Si je te pose cette question je pensais que tu avais beaucoup à dire sur ces sujets.
À tord. Je suis libertaire, je n'ai rien à rajouter.

- Le deejaying est-il le moyen pour toi de travailler les morceaux pour ensuite les sortir ?
Oui complètement. Ça me permet de les tester, de modifier certains paramètres quand quelque chose cloche, etc.

- Tu ne reproduis jamais le même mix ; c'est pour pouvoir toujours te surprendre ?
Je ne reproduis jamais le même mix parce qu'à chaque fois j'improvise en fonction de l'heure, des gens, de l'ambiance, de mon humeur. Si le track list était préparé à l'avance, ça serait hyper chiant pour moi et ça ne pourrait pas fonctionner aussi bien. Ce sont les débutants qui font ça, ou bien les DJs commerciaux qui ne pensent qu'à encaisser du cash.
Patrick Leleux 09/07/2007-08/08/2007 par e-mail









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