TECHNIKART Nº 6H 01-02/2002



LA MACHINE À DÉCOUDRE

1/ Quel est ton rapport à la machine ?
Une machine est un outil qui, comme tous les outils, repousse les limites des performances du corps humain. En musique, les fonctions suivantes sont par exemple assistées : calcul arithmétique, puissance physique, précision rythmique, mémoire, communication. Si l'art, et donc la musique, est un des bras armés d'Éros dans son combat contre la pulsion de mort, il semble logique pour les musiciens de s'approprier les technologies les plus performantes, pour maintenir le rapport de force dans un sens avantageux. Car ces technologies sont aussi disponibles, et utilisées, pour agresser et détruire.

2/ Faisais-tu de la musique avant l'arrivée de l'informatique musicale ?
J'écoutais et j'apprenais la musique mais je n'en faisais pas.

3/ Ferais-tu de la musique si les machines n'existaient pas ?
Oui.

4/ L'informatique accélère-t-elle ou retarde-t-elle la création musicale ?
Ni l'un ni l'autre, c'est une question de personnalité, d'envie, de but. Par contre, l'informatique multiplie les possibilités et les choix, et permet à une seule personne de remplir les tâches de dizaines d'autres (compositeur, auteur, arrangeur, réalisateur, copiste, interprète, musicien de session, ingénieur du son, mixeur, monteur, agent de maintenance et d'entretien, secrétaire, comptable, ta mère etc.). Évidemment, faire tout tout seul, c'est plus long, mais c'est moins cher... Et ça permet de tout contrôler.

5/ Étant donné que le seul long format de The Micronauts reprend 6 fois le même titre :

- Quel a été le rôle de la machine ? Est-ce elle qui a reformulé les morceaux ?
Un processus automatisé, plus précisément un freeware que j'ai trouvé sur le net et utilisant des algorithmes particuliers, a été utilisé pour composer un des titres, Bleeper_0+2. Ce programme, qui s'appelle thOnk_0+2, considère n'importe quel fichier son comme une suite de grains sonores, de particules sonores élémentaires. Il pioche parmi ces grains et les réorganise, à la fois en changeant leur ordre et en les superposant. Il change aussi certaines de leurs caractéristiques (longueur, hauteur, etc.). Pour chaque opération, le programme calcule les valeurs soit de manière aléatoire, soit par interpolation. L'utilisateur a le choix entre plusieurs algorithmes qui privilégient tel ou tel aspect du son, limitent ou orientent différemment les opérations aléatoires. Bien sûr le résultat final dépend entièrement du fichier son de départ. En l'occurrence il s'agissait d'un morceau terminé des Micronauts, "Bleeper". On a laissé le programme calculer des dizaines et des dizaines de minute de son, puis on a choisi deux passages qu'on a montés ensemble. Ceci n'est qu'un exemple de la manière dont ont été utilisées les machines.

- Combien de temps as-tu passé sur chaque titre ?
Ce LP est le résultat de six mois de travail à deux.

- Quand tu composes, chaque titre fait-il l'objet d'une flopée de remix ?
Non.

- Quand tu commences un morceau, sais-tu quand il sera fini ?
Non malheureusement.

- Quand il est fini, t'arrive-t-il d'oublier l'idée de départ ?
Oui une fois sur deux.

- Tes morceaux ont-ils une fin ?
Oui.

6/ Qui a le premier rôle dans ta musique : toi ou tes machines ?
Cette question est insultante.

7/ As-tu l'impression d'être dépassé par tes machines ?
J'ai parfois l'impression que des informaticiens peu rigoureux et des commerciaux peu scrupuleux me font perdre mon temps...

8/ Quel est ta machine préférée ?
Je n'ai pas de sentiment pour des objets.

- Utilises-tu des machines incongrues ?
Peu importe le flacon pourvu qu'on ait l'ivresse... J'essaye de faire en sorte que ma musique soit incongrue.

9/ Pirates-tu des programmes ?
Oui.

- Customises-tu des programmes existants ?
Oui.

10/ Vois-tu un rapport entre le fonctionnement des machines et celui du cerveau humain ?
La nature de l'être humain doit forcément se retrouver dans ses créations. Mais soyons sérieux, on ne sait rien du cerveau. La prévalence des tabous et des interdits religieux fait que le sexe reste un problème et l'objet de frustration pour beaucoup de monde, et fait qu'il est toujours interdit de produire, d'utiliser ou de faire des recherches sur les substances psychotropes. Ce sont pourtant des véhicules privilégiés d'exploration du cerveau. Je suis persuadé que ce qu'on y trouvera permettra d'en finir avec les illusions que condamne Freud, et ouvrira la voix au stade suivant du développement psychique de l'humanité, qu'il appelle de ses vœux.

11/ L'intelligence des computers est-elle suffisante pour qu'ils puissent composer sans l'aide de l'humain ? Le sera-t-elle un jour ?
La culture naît de renoncements pulsionnels. Si on considère que chaque particule tend suivant les circonstances à s'assembler avec une autre particule, ou à se diviser en particules plus petites, on peut considérer que ces deux pulsions sont intrinsèques à l'univers et qu'un niveau suffisant d'intelligence dans une entité conduira à l'apparition d'une culture. Mais ce ne sont que des hypothèses, et les ordinateurs n'ont pour l'instant aucune intelligence.

12/ La machine peut-elle avoir une dimension sexuelle ?
Des vibromasseurs ou des poupées sophistiquées, équipées d'un microprocesseur ne manqueront pas d'être conçues. Elles auront une dimension sexuelle pour leurs concepteurs et leurs utilisateurs. Mais la vraie question est peut-être : "une machine peut-elle avoir une vie sexuelle ?" Et on en revient à la question précédente.

13/ Es-tu une machine ?
Je ne sais pas. C'est une autre hypothèse.

14/ À quand un album des Micronauts ?

15/ Réponds-tu toujours aux interviews par mail ?
En ce moment et à titre expérimental, oui.
Johan Girard 14/12/2001 par e-mail

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